La dictature, la corruption et le mal-être algérien

 

Chacun sait sur quoi s’est construit notre système politique, depuis l’indépendance de l’Algérie, dont la première spécificité est l’opacité et où les décisions sont prises en dehors des circuits légaux.

 

Il ne s’est pas construit sur des critères de compétence, de savoir, de savoir-faire ou d’intégrité des personnes, mais sur une forme d’allégeance à un groupe de décideurs dont le premier souci est de rester inconnu du grand public. Une sorte de pacte implicite que les personnes choisies ne doivent absolument pas briser sous peine d’être définitivement exclues, souillées – elles et leurs familles- quelques fois traduites en justice ou expatriées, assassinées pour les plus dangereuses d’entres elles

Que signifie cette allégeance et en quoi consiste-t-elle?

Elle signifie tout simplement que même si une petite liberté lui est accordée, toute personne ou groupe choisi-e par la hiérarchie de ce système « politico-militaire » – qui deviendra par la suite « financio-politico-militaire »- doit obligatoirement obéir aux directives sans broncher : une ligne rouge bien tracée ne devra jamais être franchie.

En quoi consiste-t-elle ? Avant toute chose, à monter des dossiers sur telle personne ou tel groupe, pour bâillonner, faire chanter, faire pression et bannir par l’intermédiaire de tous les canaux et les réseaux que cette « coupole » a mis en place depuis très longtemps.

Cette loi de l’omerta ainsi imposée et les pratiques qui l’accompagnent se sont répandues dans toute la société, les institutions et surtout dans les entreprises, les partis politiques, les lieux de travail et le tissu associatif créé par le système lui-même. Les conséquences en ont été la dilapidation des richesses nationales et la grande corruption qui a mis l’Algérie à genoux. C’est pour cette raison qu’il sera très difficile de séparer le bon grain de l’ivraie.

Des dossiers, plus ou moins importants, plus ou moins dangereux pour les uns ou les autres, tout le monde en a sur tout le monde. De tout temps, les personnes intègres ont été considérées comme dangereuses. Très vite écartées, mises à l’index et souvent forcées à l’exil. Même si la volonté de changer ce système est bien réelle, les pratiques qu’il a mises en place mettront du temps à disparaître.

Mouloud Hamrouche, « FLN réformateur », ex chef du gouvernement sous le président Chadli Bendjedid, disait à une certaine époque qu’il avait le devoir de rester au sein du parti pour le réformer de l’intérieur. L’histoire lui a donné tort. Il faut se méfier à l’heure actuelle des personnalités qui jouent sur l’urgence, la précipitation, la peur, et qui parlent d’un futur plan d’austérité. Ces personnes ne cherchent pas l’intérêt général, elles ne cherchent que le pouvoir. Chaque chose en son temps ne veut pas dire être dans l’attentisme.

Depuis quelques jours, les médias parlent d’interdiction de quitter le territoire et d’arrestation de quelques personnes ayant bâtti leurs fortunes en spoliant le peuple. Certes, il faut se battre pour que toutes celles et ceux qui ont volé passent par la case justice. Mais il faut aussi se demander pourquoi cette campagne envers ces personnes se déclenche justement aujourd’hui. D’autres campagnes ont déjà été menées par le passé contre A. Bouteflika, mais aussi contre feu Kasdi Merbah et bien d’autres.

Ne tombons pas dans le piège !

Nous savons pertinemment que les institutions aux ordres ne peuvent s’autosaisir et que la vertu ne se décrète pas du jour au lendemain. En réalité, ces campagnes ne sont jamais que des feux de paille allumés pour amuser la galerie et nous détourner de notre seul véritable objectif : le changement pacifique et radical du système en place.

L’intégrité, en revanche, se décide, se pratique, se mûrit, malgré toutes les tentations et les embûches. C’est pourquoi il est de notre devoir de rester vigilants et déterminés afin de construire tous ensemble l’Algérie démocratique de demain.

La révolution du sourire  et la première contre révolution

Le peuple algérien, dans toute sa grandeur et son pacifisme, réclame sans relâche depuis le 22 février dernier la fin du système politique en place afin de reconstruire une Algérie nouvelle, démocratique et moderne. Si ces revendications sont pleinement légitimes, pour autant la question du changement est une affaire délicate qui demande plus qu’un élan révolutionnaire. La  » Liberté  » tant attendue ne sera réelle que si on se penche sur les raisons profondes qui ont permis à ce régime de se maintenir depuis 1962, empêchant du même coup l’émergence d’une élite capable de relever le défi du XXIème siècle.

L’annonce de la démission d’Abdelazziz Bouteflika suivie de la déclaration de « la grande muette* » par le biais de Gaïd Salah, vice-ministre de la défense et chef des armées, doit toutes et tous nous interpeller. Aujourd’hui, si nous nous réjouissons du départ de l’ancien président de la république, à quelques jours de la fin de son mandat, nous ne pouvons accepter ce nouveau coup d’état militaire maquillé, cette contre révolution,  qui n’a pour but que de reconduire le système politique et l’impunité qui l’accompagne.

Alors que la mobilisation est toujours à son plein ce vendredi 29 mars contre la volonté de Gaïd Salah d’utiliser les articles 7, 8 et 102 de la constitution algérienne, ce dernier persiste et signe. Mouloud Boumeghar, professeur de doit public et spécialiste de droit international et des droits humains, dans un article paru dans le journal « Le Monde » du 29 mars dernier, souligne qu’en raison du contexte et de la situation du pays, ces articles de la constitution algérienne sont caduques et que leur utilisation est anticonstitutionnelle. Il ajoute : «  Le régime met en danger le pays pour se sauver ».

Dans une lettre ouverte adressée à Gaïd Salah, publiée sur le site Casbah Tribune le 4 avril, Mohammed Abdelwahab Bekhechi, ancien Professeur de droit et ancien membre du conseil constitutionnel, écrit  : …« Je ne peux croire que vous n’ayez pas analysé, au préalable, les conséquences de cet ensemble d’actions et de déclarations qui ne répondent en aucune manière, ni dans la forme, ni dans le fond aux attentes du peuple algérien et de sa jeunesse qui scandent tous les jours :  leur revendication de renvoyer les gouvernants en place, y compris le Président de la République, et l’ensemble des forces qui constitue le système politique en place, et  leur attachement à l’ANP et leur engagement à la préserver des dérives que la vie politique du pays peuvent engendrer »….

Une démocratie et un Etat de droits ne peuvent se construire sur des « putschs » et sur d’anciennes pratiques militaires. Toutes les expériences de par le monde et celle de l’Algérie, en particulier dans les années 90, le prouvent et montrent sa grande dangerosité. Une armée républicaine n’entrave pas la volonté du peuple en jouant à la fois sur un rôle paternaliste, sur la menace, les intimidations et  la peur. Une république démocratique doit avoir une armée républicaine respectueuse à la fois du choix du peuple et des règles mises en place par ses représentants civils légaux élus dans la transparence par le peuple.

Si l’institution militaire s’est beaucoup rajeunie depuis une trentaine d’années de  par ses effectifs, elle garde la mentalité des armées de dictateurs. Elle n’a jamais accepté l’idée d’être une institution sous l’autorité de civils. Bien qu’elle soit à l’origine de tous les maux,  les détenteurs du vrai pouvoir ne veulent pas se remettre en question ni accepter d’être l’objet de critiques. Sous prétexte de légitimité historique et plus récemment sous prétexte d’avoir sauvé l’Algérie pendant la décennie noire, ses chefs se veulent au dessus des lois et du peuple.

L’Armée Nationale et Populaire doit faire un scanner !

Dans sa déclaration publiée le 2 avril sur le site web* du ministère de la défense, M. Gaïd Salah dit, je cite :

…« Mais ceci a dû exaspérer certaines parties, qui s’échinent à cibler l’Armée en portant atteinte à sa réputation et la cohésion de ses composantes, afin de réaliser leurs desseins malveillants. Des desseins que l’Armée Nationale Populaire, qui demeure une ligne rouge, saura contrecarrer avec toute la rigueur et la détermination et en usant de tous les moyens légaux »…

L’argument selon lequel, ceux qui critiquent l’institution militaire sont des personnes ou des groupuscules qui veulent nuire à la nation ne fonctionne plus, comme ne fonctionne plus l’appellation péjorative tant utilisée de « Hisb frança », « Parti de la France » contre le FFS- Front  des Forces Socialistes. Il est primordial qu’enfin l’institution militaire accepte d’être auscultée et critiquée pour le bien de tous. Celle-ci doit se défaire des pratiques et de la vision héritées du colonialisme !

Quand Hocine Malti ancien vice-président de la société des hydrocarbures Sonatrach, emploie le qualificatif « Rab ed’Zaïr », « Dieu de l’Algérie » pour désigner et interpeller l’ancien chef du DRS, il ne fait que rappeler que cet organe tout puissant, qui a les mains rouges de sang, est devenu un état dans l’état. Il invite les algérien.nes à désacraliser l’armée pour le bien de tous. Il invite les algérien.nes à dépasser leurs peurs pour pouvoir être maitres de leur destin. Ce n’est pas un hasard si le 16 février, des centaines de personnes ont manifesté leur colère, ce n’est pas un hasard si des millions d’algérien.nes aujourd’hui et depuis le 22 février ont suivi et occupent la rue. C’est le résultat de tant d’années de combat mené par des militants démocrates, tant d’années de peur, d’angoisse et d’engagement, tant d’années de sacrifices, de militantisme, tant d’années de lutte contre les grandes injustices que ce soit sur le terrain comme sur les réseaux sociaux.

Oser critiquer notre armée ne veut pas dire être contre l’armée. Oser critiquer l’armée veut simplement dire qu’elle doit jouer son rôle d’institution qui a le devoir de protéger le pays contre toute agression extérieure. Elle ne doit en aucun cas interférer dans la vie politique du pays. L’institution militaire n’est qu’une institution comme les autres et ses membres ne sont pas au dessus de lois. Comme toute institution, elle est responsable devant peuple. Critiquer l’armée c’est surtout lui demander de se moderniser pour affronter le nouveau monde et ses grandes technologies.

La démocratie et la fin de l’impunité

Pour rappel, les régimes démocratiques sont organisés selon le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire afin d’éviter leur concentration entre les mains d’une seule personne ou d’un groupe d’intérêts.  Certaines constitutions privilégient la stricte séparation des pouvoirs pendant que d’autres leur permettent, tout en étant distincts, de disposer de moyens de contrôle les uns à l’égard des autres. Les médias audiovisuels comme la presse écrite sont aussi un pouvoir destiné à contrôler, à informer et prévenir contre tout dérapage.

L’Algérie peut devenir une vraie démocratie si, et seulement si, tous ces pouvoirs sont réellement transparents et indépendants et à condition d’en finir avec le règne de l’impunité. A l’heure actuelle, ni le conseil constitutionnel, ni les deux chambres des représentants du peuple, ni les médias et encore moins la justice, ne sont indépendants. En sachant que le peuple n’est plus dupe, comment le vice ministre de la défense ose-t-il parler de l’article 102 et appeler à des élections futures menées par des institutions aux ordres ?

En réalité ces décideurs sont dans l’impasse. Ils ont mis l’Algérie dans l’impasse et jouent leur dernière carte,  impuissants devant ce peuple pacifiquement déterminé. Il faut comprendre et se rappeler que, au nom de l’institution militaire, certains de ces responsables se sont  empêtrés depuis longtemps dans de grands scandales : corruption, assassinats politiques, torture,  disparitions forcées et plus récemment trafics de drogue avec l’histoire de la « cocaïne gate ». Ceux qui peuvent lutter contre tous ces fléaux doivent avoir au moins les mains propres, disait le général- major Abdelghani Hamel, directeur général de la police nationale, avant son éviction de son poste.

Il est aujourd’hui urgent et primordial  que l’armée passe au scanner dans son intérêt et dans l’intérêt de l’Algérie. Il est urgent que notre institution militaire se modernise sur le fond et la forme.

Refuser de critiquer l’institution militaire c’est être complice de ceux qui ont fait que celle-ci, avec l’approbation de quelques hauts gradés, soit prise en otage par ce groupe de mafieux qui opèrent dans l’ombre. Refuser de critiquer l’institution militaire c’est accepter le danger qu’elle fait encourir une nouvelle fois à notre pays.

Il est de notre devoir, de décréter une fois pour toutes la fin de l’impunité !

  • La grande muette : nom donné par la population à l’ANP
  • art 7 : « Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. »
    art 8 : « Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des institutions qu’il se donne. Le peuple l’exerce aussi par voie de référendum et par l’intermédiaire de ses représentants élus. Le Président de la République peut directement recourir à l’expression de la volonté du peuple. »